RECUEIL
Valérie Séguin
Chargée de projet du recueil
Le recueil a été l’occasion pour nous de fortifier ce en quoi nous croyons - l’acte de création pour tous sans exception, et sans règles qui contraignent des pans des imaginaires à se refermer sur eux-mêmes. C’est pourquoi le thème de LA NUIT était la seule et unique règle indiquée lors de notre appel de textes. Nous avons voulu mettre de l’avant les plumes décomplexées de nos auteurices, et les possibilités qu’offrent les langues au-delà du sujet-verbe-complément et des essais universitaires. Force est de constater qu’il y a infini de possibilités, de baumes quand l’on écrit, mais également - qu’il en reste encore beaucoup à explorer et que les jeux de langages demeurent encore largement dissimulés par les codes sociétaux.
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE 1 - La nuit gît sur le plafond de la lune taché de noir
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Autoportrait. La nuit
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David Biron
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Dans le noir
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Clara Barbieux
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Douce violence
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Anne-Sophie St-Onge
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Mais elle s'endort quand même
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Axel Benzo
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CHAPITRE 2 - Dormir, c’est comme disparaître à l’encre de chine, sous ta peau morte d’avoir trop vécu.
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Constante conscience de malheur
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Hélo
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L'invitée et son aiguille
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Thomas Crête-Varty
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La cliente du dep qui portait un choker
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Gabriel Samson I
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La nuit s'achève
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Charlotte Poitras
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La nuit
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Amélie Séguin
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NUIT-SANCE
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Margo Ganassa
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CHAPITRE 3 - À quatre heures, sont déjà debouts, vite vite, posent leurs textes sur l’asphalte à attendre qu’ils s’imprègnent des semences qui dégoulinent des étoiles
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Haïkus en rafale sur la nuit
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Gabriel Sénéchal
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I did it for the plot
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Milo James
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Les parcs a mtl ferment a 23h
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Zahra Bensaddek
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Les reflets
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Tristan Bélanger
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Notes de flâneuse nocturne
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Jeanne Soubry
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Sortir la nuit
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Angelina Poulin
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" OISEAUX DE NUIT "
- RENÉE LABERGE -
La nuit je m’évite.
Je pellette des nuages. Ils ont la forme des oiseaux.
Je fais porter mes rêves par une horde de lucioles poilues, venues de nulle part et sans m’avertir. Elles semblent connaître mieux que moi le chemin qui pourra traverser l’obscurité. Je n’ai pas dit : les ténèbres. Je ne veux pas exagérer.
J’observe, je trie, j’essuie la toile fripée de mes rébellions pendant que commence la grande parade. Mes yeux se ferment à peine…
Ô
Louves frondeuses
Renardes ambidextres
Chauves-souris à l’apéro
Hiboux.e.s à vulves mauves
Les voilà qui migrent sous mes draps. Un peu coincée entre mes nuitées et mon bestiaire céleste, j’ai trop chaud. Je ménopause à grosses gouttes en triturant mon édredon et le fondement me bouille. Tout me pique. Tout me gratte. J’enlève le bonnet qui serre trop mes neurones. Ma nuisette de soie se retrouve à mes pieds, mes bas de laine sous l’oreiller. Je cherche quelqu’un.e à mes côtés dispersé.e dans ses fantômes. Les soifs se massent en motton sous ma langue. Je liquéfie mes humeurs de trucks et de bile. Ça tourne, retourne, me détourne du jour. Je transe quelque part entre éveil et sommeil : la nuit fait son numéro.
Ma bouche somnambule fait l’amour à la voisine (je pense qu’elle n’aime pas tellement). Mon sexe récite des poèmes bien gras et gloutons. Il ne semble pas y avoir de point, les virgules sont mortes, les majuscules, hésitantes. Mon ventre se gonfle et se dégonfle comme un accordéon. Il chante en inuktitut à gorge déployée. Je ne comprends pas trop ce qu’il veut me dire. Pourtant, je l’écoute traverser mon inconscience de mamelles de brousse. J’essaie d’éteindre mes synapses sans repos. Mais je ne sais pas trop où est le bouton. Rien n’y fait. Ça bougeotte les idées et les jambes. Ça se poursuit. Cavalcade au grand galop.
HIP!
Zoiselles qui se tiennent au jus
Souricettes au hula-hoop
Chouettes modernes
Rates non genrées
Mésanges obèses
L’espace se restreint dans les hémisphères de mon cerveau. Ils étaient déjà débordés par les choses qu’il me reste à faire dans les prochaines 1560 semaines:
former mon corps démocratique
pratiquer mon vagin
enfanter du silence
inventer des éditions qui m’éditent
affoler mon muscle cardiaque
faire la paix avec mon transit
placoter avec les morts
fabriquer des petites-filles
Je me répète : t’aurais donc dû prendre ta retraite à 14 ans.
Mais il est trop tard.
Je me trémousse dans mes vertiges. Un après l’autre, je les attends. Ils me disent que nous aurions pu faire des enfants forts et autonomes comme des moineaux qui tracent leur chemin sans CELI, sans CECI, sans CELA. Des enfants-oiseaux qui dorment en creux, du sommeil ensommeillé des bienheureux.
Ils sont beaux. Trois fois rouges comme une fête.
Alors je retrousse mes manches. Les chattes ne sont pas toutes grises. Et moi non plus. Je déplume les pangolin.e.s de Chine. J’attise les baleines de mon grand cri éponyme. J’enlace les belettes à bosses qui trônent sur ma moelle. Virée déjantée dans ma jungle cosmique. Sous les coups de minuit, je me transforme en sobriété énergétique. Mon corps jouit d’élasticité, revitalisé. Je suis en dinde. Ça glousse à l’intérieur. Au piano, je déjoue les Nocturnes. À 4 heures et demie du matin, c’est la grande revanche des loutres ailées. La danse extatique des ratonnes-laveuses. J’en perd mon latin mais je prends mon destin en main au-dessus des méandres des ombres.
Oh Wow Oh Wow Oh Wow
On pourrait me dire : coudonc, es-tu tombée su’a tête?
Je répondrais : les désirs sont dans les détails.
Se pourrait-il que je fasse aussi partie de ce grand manitou?
Que sous la couette, je puisse opposer mes songes au chaos du monde?
Que je puisse enfin apaiser mon esprit de cow-girl hypoglycémique?
Que mon tour venu, je papillonnerai dans la nuit des temps comme une reine à la sueur de mouffettes bleues?
La nuit ne me mentira pas.
POÈME COUP DE COEUR DE L'ÉQUIPE
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Photographe : Proginor - André Barette